Le ciel des Inuits
Leur connaissance des étoiles leur servait surtout à s'orienter dans un environnement hostile où les points de repères étaient rares
Les peuples inuits vivant dans le Grand Nord canadien ont accès au ciel noir pendant de longues périodes continues. Au Pôle Nord, par exemple, le Soleil se lève et se couche une seule fois par année. Contrairement à la croyance populaire, la nuit polaire ne dure pas six mais quatre mois et demi par année. En effet, l'inclinaison de la Terre fait en sorte que l'aube et le crépuscule s'étirent sur plusieurs semaines au Pôle, ce qui réduit la durée de la nuit de six semaines par an. Avec des nuits si longues, on pourrait penser que les peuples de l'Arctique ont amassé des connaissances approfondies en astronomie. Il n'en est cependant rien.
La durée pendant laquelle les peuples nordiques ont accès au ciel étoilé est en fait beaucoup plus courte que quatre mois et demi, même pour les Inuits vivant loin du Pôle. Plusieurs facteurs en sont responsables. Le premier est la Lune. La Lune se lève et se couche une fois par mois et lorsqu'elle éclaire le ciel, sa lumière est réfléchie par la neige et la glace vers le firmament, ce qui empêche de bien voir les étoiles.
La neige elle-même est également un facteur déterminant : soulevée par le vent, elle forme en altitude un brouillard qui masque les objets célestes. Les nuages et les aurores boréales contribuent également à cacher les étoiles. Enfin, le froid intense rend les nuits d'observation plutôt difficiles.
Ainsi, les Inuits n'ont accès au ciel étoilé que pendant au plus deux mois et demi par année, si on tient compte de la présence de la Lune, et à seulement deux mois par année, si on tient compte des autres facteurs. En résumé, en plus de composer avec des conditions difficiles, les peuples du Nord disposent donc de peu de temps pour étudier les étoiles.
Pour les anciens Inuits, la Terre (Nunarjuaq en langue inuktitut) est plate, stationnaire et les objets célestes tournent autour. Elle occupe aussi le centre de l'Univers. La Lune (Taqqiq) est un disque de glace plat et le Soleil (Siqniq), une boule de feu. Si l'astre solaire disparaît sous l'horizon pendant plusieurs mois, c'est que pendant l'hiver, le froid et le givre l'appesantissent au point où il ne peut plus se lever dans le ciel.
Les planètes du système solaire, quant à elles, sont considérées comme de grosses étoiles et les étoiles, comme des trous dans la voûte céleste. Fait étrange cependant, l'existence de l'étoile polaire, cette étoile qui demeure toujours fixe dans le ciel et autour de laquelle tous les objets célestes semblent tourner, était inconnue des peuples du Nord.
Seulement 33 étoiles étaient familières aux anciens Inuits et uniquement 6 ou 7 portaient un nom. Parmi elles, quelques-unes leur servaient à s'orienter lors des déplacements. Quant aux autres étoiles, elles étaient regroupées en 16 constellations, la plupart étant associées à un mythe où humains et animaux occupaient les rôles principaux. En voici un exemple qui provient des Inuits de l'est de l'Arctique canadien et qui met en vedette les trois étoiles du baudrier d'Orion :
Quatre hommes poursuivaient un ours. Celui-ci finit par fuir en grimpant dans le ciel et les chasseurs décidèrent de le suivre. Au fur et à mesure qu'ils montaient de plus en plus haut, un des Inuits échappa une de ses mitaines et décida de retourner sur Terre pour la chercher. Les autres chasseurs continuèrent leur poursuite dans le ciel et on peut encore les voir aujourd'hui, l'un derrière l'autre, poursuivre l'ours.
Cette histoire nous est parvenue grâce à l'Inuit qui est revenu sur Terre chercher sa mitaine.
Chez les Inuits, la mesure du temps se faisait en comptant les moments où la Lune était pleine. Le calendrier était donc lunaire et comptait 13 mois. L'année débutait à des moments différents pour les différentes sociétés inuites, tout dépendant de leur latitude sur le globe. Le signal marquant la nouvelle année était cependant le même pour toutes les tribus : c'était le moment où, après la longue nuit polaire, le Soleil apparaissait à nouveau au-dessus de l'horizon; ce qui se produit à des dates différentes selon la position des Inuits dans le Grand Nord.
Légendes inuites
Une mythologie où la Lune occupe une place importante
Les légendes inuites sont, comme les légendes amérindiennes, très imagées. L'une d'elle raconte comment la lumière fit son apparition sur Terre. Elle provient des Inuits du centre de l'Arctique canadien :
Au début, tout était obscurité et il n'y avait pas de lumière sur Terre. Il était impossible de voir le sol, les animaux et les hommes. Fait étrange, un animal pouvait se transformer en homme et un homme en animal. Il y avait différents animaux comme des ours, des lièvres et des renards. Cependant, au moment où ceux-ci se transformaient en hommes, ils devenaient tous identiques : ils parlaient la même langue, habitaient le même genre de maison et chassaient de la même manière.
C'est à cette époque que les mots magiques furent créés. Un mot dit au hasard d'une conversation pouvait subitement acquérir un pouvoir magique, sans que personne ne puisse expliquer comment.
Un jour, une conversation s'engagea entre un renard et un lièvre. Le renard répétait sans cesse le mot « Obscurité! » car il aimait celle-ci puisqu'elle lui permettait de voler les prises des humains. Le lièvre, pour sa part, répétait le mot « Jour! », car celui-ci l'aiderait à se trouver un endroit où se nourrir.
Soudainement, la lumière fut et l'obscurité fit place au jour : le mot dit par le lièvre était plus puissant que celui prononcé par le renard. Depuis ce jour, la nuit et le jour alternent sur Terre, le renard et le lièvre y trouvant son compte à tour de rôle.
Chez les Inuits, le Soleil est en général associé à une femme et la Lune à un homme. Voici une légende qui fait exception à la règle. Elle provient des Inuits de Repulse Bay, au Nunavut :
Il y a très longtemps, après la création du monde, un puissant magicien acquit un si grand pouvoir qu'il parvint à se hisser dans les cieux. Il amena avec lui sa sœur, qui était d'une grande beauté, et un feu, auquel il ajouta tant de combustible que celui-ci devint le Soleil.
Le frère et la sœur vécurent longtemps en harmonie jusqu'au jour où la discorde s'installa entre eux et que le frère en vint aux coups, marquant le visage de sa sœur d'une brûlure qui la défigura. La jeune femme quitta alors son frère pour se réfugier dans les cieux où elle devint la Lune. Depuis ce jour, il ne cesse de la poursuivre avec son feu sans jamais pouvoir l'atteindre.
L'Homme-Lune est un personnage important chez les Inuits. De nombreuses légendes en font mention. En voici une qui nous parvient des Inuits de l'est de l'Arctique canadien :
Un puissant angakoq (sorcier) décida d'aller visiter la Lune. À sa demande, on lui attacha les mains avec une lanière de cuir puis on éteignit les lampes de sa hutte. Le sorcier pria ensuite son tormaq (esprit protecteur) afin qu'il le transporte vers la Lune, ce qui se produisit dans l'instant.
Une fois arrivé, le sorcier comprit que la Lune était une maison. Il y entra et vit sur la gauche une très belle femme, le Soleil, qui s'empressa d'éteindre la lampe située devant elle. L'Homme-Lune vint alors lui souhaiter la bienvenue et lui dit : « Ma femme et moi allons exécuter une danse. Il est important de ne pas rire sans quoi il t'arrivera malheur ».
Le couple se mit alors à danser et le sorcier à regarder. À sa grande surprise, il constata que la Femme-Soleil n'avait pas de dos, de colonne vertébrale et d'entrailles; seuls un cœur et des poumons occupaient sa cage thoracique. La danse était si étrange et les grimaces du couple si drôles, que le sorcier prit la fuite, car il avait peine à ne pas rire.
Peu après, le sorcier se décida à retourner dans la maison et parvint à ne pas rire. Une fois la danse terminée, l'Homme-Lune le reçut avec hospitalité et lui fit visiter sa maison. Dans une pièce, il vit de grands troupeaux de cervidés qui se baladaient dans de vastes plaines. Dans une autre pièce, il vit de nombreux phoques nager dans un océan. L'Homme-Lune le laissa en choisir un de chaque et les lui donna.
Une fois revenu sur Terre, le corps du sorcier, qui était demeuré immobile et sans âme, se ranima, et à la surprise de tous, ses liens étaient défaits, sans que personne n'y ait touché. Le sorcier raconta alors tout ce qu'il avait vu lors de son voyage sur la Lune.
L'Homme-Lune est souvent vu comme un esprit fort et juste. Cette légende des Inuits du Labrador en fait foi :
Un jeune orphelin vivait dans une famille qui le traitait mal. Il dormait dans le tunnel d'entrée avec les chiens et ne mangeait que des restes. Seule la plus jeune des filles de la maison le traitait bien.
Une nuit, alors qu'il était étendu sur le sol à regarder la Lune, il réfléchit à un moyen de s'évader. Or, plus il fixait la Lune, plus il avait l'impression d'y voir un visage humain. Une fois convaincu de l'existence du visage, il pria l'Homme-Lune de venir l'aider à s'échapper.
L'Homme-Lune l'entendit et descendit sur Terre. Il prit le jeune orphelin avec lui et l'amena sur la plage où il le flagella avec un fouet. À chaque coup qu'il recevait, le garçon devenait de plus en plus grand et fort. Une fois terminé, l'Homme-Lune retourna dans le ciel. L'orphelin resta sur la plage et se pratiqua toute la nuit à soulever de gros blocs de pierre et à les lancer au loin.
Le matin venu, le garçon retourna à la maison et terrassa tous ceux qui avaient été méchants avec lui à l'exception de la jeune fille qui le traitait bien. Elle devint sa femme et lui, le chef du village.